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« Octobre 43, De Besançon à Londres, en passant par l'Espagne...», d'après les écrits du Colonel Roger DEGEN Besançon, Toulouse, Saléchan, St Béat, Bosost, Lerida, Malaga |
Vendredi 15 octobre 1943 Fatigués, nous déambulons dans Toulouse. Petit déjeuner dans un bar et à proximité de la gare nous entrons dans un hôtel dont la façade inspire confiance. Mais sitôt dans notre chambre, il faut déchanter, c'est minable. Par hasard, nous tombons sur Monsieur C. qui devait nous rejoindre à Saléchan. Monsieur C, la cinquantaine alerte, grand, sec, collaborateur de LYAUTEY au moment de la pacification du Maroc, ancien consul de France à Tanger et professeur de langues arabes à l'Ecole des Hautes Etudes de Rabat - nous apprendrons par la suite qu'il maîtrise douze langues- sera du voyage. (…) Il nous invite à dîner le soir même à la Frégate sur la Place Wilson, où il y a une sorte de fête foraine très animée. Il veut fêter son départ, dit-il. Repas marché noir, peu de choses dans l'assiette mais service impeccable. Le spectacle de la salle, remplie d'officiers allemands en "bonne" compagnie féminine, ne nous met pas à l'aise. (…) |
Samedi 16 octobre 1943 Aujourd'hui, je fais de nouvelles connaissances. JEAN, dit ALI, qui vient d'avoir des démêlés avec la police et que nous ne devions rencontrer qu'à SALECHAN, SHILLEY BAUL, jeune femme grassouillette vêtue d'un manteau de peau de lapin. Je ne connaîtrai jamais sa véritable identité. Epouse d'un officier français, arrêté pour fait de résistance mais évadé, elle aurait été arrêtée à son tour. Hospitalisée à l'infirmerie de la prison de Toulouse, elle s'en serait évadée grâce à Ali. On verra par la suite quels ennuis devait nous occasionner sa compagnie. Avec elle, le jeune CLAUDE, 17 ans, qui lui aussi, nous causera quelques difficultés dans la montagne. Départ de Toulouse à 14 heures pour Saléchan avec correspondance à MONTREJEAU. Il fait un temps magnifique. Le groupe de six se répartit dans plusieurs wagons, je reste avec Robert. Beaucoup de monde dans le train. Je découvre de nouveaux paysages, peu avant Montrejeau on distingue nettement les pics en dents de scie de la chaîne des Pyrénées que nous devons franchir le soir même. Nous n'échangeons aucune parole avec les voyageurs du compartiment dont certains, par leurs regards appuyés, montrent bien qu'ils savent où nous allons et qui nous sommes. Attente un peu fiévreuse à MONTREJEAU, puis tous les six, nous prenons à la nuit tombante la correspondance pour Saléchan. |
(…) Nous descendons du train à contre voie et on se planque derrière un rideau d'arbres. Ali seul, va voir le chef de gare et vient nous rechercher. Vers 20 h 30, on se trouve dans la salle à manger, située au premier étage et la maîtresse de maison nous sert un bon potage chaud. Délaissant les chaussures de ville, on chausse les souliers de montagne. En ce qui me concerne, il s'agit de simples chaussures montantes ressemelées par mon père qui n'a pas lésiné sur les clous spéciaux pour la montagne paraît-il. On verra par la suite que les chaussures ne pourront supporter "l'épreuve de vérité ». Sac au dos, vers 22 heures, avec Ali en tête, c'est le moment de partir, le chemin nous semble long ; Il y aura trois montagnes à franchir... Monsieur C. décide de rester et d'attendre un convoi annoncé deux ou trois jours plus tard avec passeur. Combien il avait raison, la suite devait nous le prouver. Nous quittons nos hôtes non sans les remercier chaleureusement. J'apprendrai en septembre 1944, au camp de Patriotic School, près de Londres, lors de mon interrogatoire de 4 h 30 (!) avec pause de 30 minutes pour "une nice cup of tea" à laquelle je ne serai pas convié que le malheureux chef de gare, sur dénonciation, avait été fusillé fin 1943. |
Paul MIFSUD suivra la même route, 8 jours plus tard, aidé par le même Chef de Gare de Saléchan, Monsieur VERDIER… pour en savoir plus, cliquez ici. |
SALECHAN |
Avec maintes précautions, et la consigne de ne pas parler en chemin, nous prenons la direction de l'ouest pour éviter l'axe Montrejeau-Luchon, très mal fréquenté". (…) On aborde la montagne en suivant une direction Sud vers Bourg d'Oeil. La pluie commence à tomber et après trois heures de marche, on trouve une cabane délabrée où nous pouvons nous sécher grâce à un feu dans l'âtre et nous réchauffer avec une décoction d'orge grillé trouvé sur place.... Nous trouvons même de magnifiques pommes dans un tiroir où nous laissons un billet de 100 francs avant de partir. Nous reprenons la route, la montagne devient difficile. |
Dimanche 17 octobre 1943 SHILLEY BAUL n'en peut plus. Il faut s'arrêter pour la laisser souffler. On repart, la rampe s'accentue. Nouvel arrêt alors que nous n'avons pas gravi plus de 100 mètres. Il faut retourner sur nos pas pour trouver une voie plus facile. La pluie recommence à tomber lorsque nous redescendons, en silence, la montagne. Vers 7 heures du matin, au pied de la montagne sous une pluie battante on trouve une grange à foin où nous pouvons accéder grâce à une échelle dressée contre l'ouverture fermée par un battant en bois. Recrus de fatigue, serrés les uns contre les autres, les vêtements mouillés, nous nous endormons dans le foin alors que la pluie redouble au dehors. (…) Brève concertation entre Robert et Ali, il est décidé de revenir à Salechan pour profiter du convoi prévu avec passeurs. Il reste une quinzaine de kilomètres à parcourir. Nous partons à la nuit tombante. Maintes précautions, surtout ne pas parler, nombreux détours pour éviter les zones habitées. Soudain, avant Seridan, à nouveau de phares ! Les Boches ? On se cache... Je me dirige à droite, les autres sur la gauche escaladent un remblai. Je tombe dans un torrent en contrebas de la route, non sans me piquer au passage dans les orties ! Je suis complètement mouillé et le genou droit me fait mal. L'eau a amorti le choc. Après le passage de la voiture, les copains se demandent où je suis passé et m'appellent. Torche électrique braquée sur moi en contrebas, on me croit blessé, mais ce ne sont que des égratignures ! Ma situation déclenche leur fou rire. On m'aide à sortir de ce mauvais pas. On a eu chaud.... c'étaient les Allemands. Je ferai encore une dizaine de kilomètres, trempé jusqu'aux os pour arriver à Salechan. Surprise de nous voir de retour… On est immédiatement dirigés sur un café hôtel à LOURES BAROUSSE, point de rendez-vous où nous pourrons nous reposer en attendant les passeurs qui, en principe, doivent nous prendre avec d'autres d'ici 48 heures. |
A LOURES BAROUSSE (…) Bon repas apprécié. Robert et moi sommes conduits par la "patronne" dans une chambre spacieuse avec un grand lit à baldaquins.... (…) Avant de nous quitter, l'hôtesse nous fait des recommandations : "En cas de danger, je viendrai vous prévenir, il suffira de sauter par la fenêtre qui donne sur le jardin et de là, vous filerez dans la montagne". Malgré les draps écrus, un peu rêches, nous plongeons dans un sommeil profond. Rien d'étonnant après une soixantaine de kilomètres parcourus à pied dont une vingtaine en montagne et beaucoup d'émotions en 24 H ! |
Lundi 18 octobre 1943 JEAN, dit ALI, nous quitte pour rejoindre Besançon. Je le retrouverai par hasard, à ALGER, en juin 1944, alors qu'il est, dit-il, en stage commando à STAOUELI pour le compte du B. C. R. A. (Bureau Central de Renseignements et d'action). Nous resterons planqués, sans parler, dans la salle à manger. On a retrouvé Monsieur C. Il faut se méfier des voisins et surtout des patrouilles allemandes en side-car ou en voiture qui sillonnent la route Luchon - Montrejeau en bordure de laquelle se trouve le café. Certains Allemands s'arrêtent au café pour prendre l'apéritif, des habitués connus du patron... |
LOURES BAROUSSE |
On doit partir plus tôt que prévu, ce sera pour ce soir, les passeurs vont venir. On est un peu surpris car on pensait profiter encore une nuit d'un lit convenable pour complètement récupérer. Conversation à voix basse avec les hôteliers très sympathiques. Les sacs sont près, un passeur est là. Pour notre séjour, le prix demandé sera fort modeste, juste de quoi couvrir les frais...(Je n'oublierai jamais l'accueil de ces braves gens mus par un patriotisme à toute épreuve et éloignés de tout esprit de lucre. De passage en 1963, j'apprendrai que le mari dénoncé début 1944 sera déporté !). La patrouille allemande étant passée, les hôteliers connaissent les horaires, nous nous dirigeons sur Salechan, en silence et en évitant toujours la route dangereuse. Halte à Salechan jusqu'à 23 heures. Discussion du prix du passage, 3000 francs par personne ! Grande déception pour Robert et moi, quel patriotisme celui du porte-monnaie ! Nous ne paierons pas le prix demandé et pour cause, nos moyens ne nous le permettent pas. Par la suite j'apprendrai que la plupart des passeurs ont agi par pur patriotisme sans rien demander. Sans doute étions-nous mal tombés... |
Nous sommes huit à reprendre la route en suivant, en silence, la voie ferrée à pas de loup. Au bout d'une heure, nous nous arrêtons derrière un rideau de mais, halte de près de deux heures ! Nous avons rendez-vous avec d'autres candidats à l'évasion. Ces derniers, près d'une douzaine dont quelques aviateurs américains abattus au-dessus de la France, arrivent avec deux passeurs. Etendus dans l'herbe mouillée par la rosée, nous ne pourrons continuer qu'après avoir acquitté le prix du passage, pour lequel un rabais est consenti ; ce sera 1 000 francs par personne pour le groupe que nous formons, M. C. Shilley Baul, Claude, Robert et moi. Nous ignorons ce que les autres ont donné. Nous sommes une vingtaine, accompagnés de trois passeurs qui reprennent le chemin de l'Espagne, en longeant La GARONNE mugissante. Passage délicat sous un pont emprunté par la voie ferrée, gardée par deux Allemands, dont l'un, l'arme sur l'épaule fait le va et vient sur le pont et l'autre que l'on distingue par la lucarne de la cabane, assis à une table éclairée par une lampe tempête. Précédés de deux passeurs, revolver au point, nous traversons St BEAT en empruntant une ruelle parallèle à la rue principale où se trouve la Kommandantur installée dans le meilleur hôtel. |
Hôtel de St Béat qui abritait la Kommandantur en 1943 (photo RD) |
Un passeur se détache en éclaireur car il faut longer la route qui mène à un chemin abrité, donnant accès à une magnifique demeure de maître avec balcons à balustres à LADIVERT. Au signal, en silence et avec précaution, nous empruntons le chemin, entrons dans la propriété par la grille que l'on ouvre non sans grincements qui déchirent le calme de la nuit. Nous sommes vite derrière la maison sur une pelouse argentée au clair de lune et nous nous engageons sur un sentier très raide dans la foret. La montée est commencée... Dans une clairière, nous nous arrêtons pour reprendre notre souffle. Puis nous continuons le sentier qui monte plus doucement, mais le chemin est long. Certains sont essoufflés, notamment les Américains et cela m'étonne. Nous évitons les sentiers qui pourraient être empruntés par les patrouilles allemandes. A un moment donné, nous sommes obligés de passer au sommet d'une véritable muraille qui descend à pic sur la vallée, avec un surplomb de 200 à 300 mètres. Ci-contre: Vue de la maison derrière laquelle R. Degen et ses camarades d'évasion ont abordé la montagne. |
La Garonne à St Béat |