Jeudi 23 décembre 1943. Nous parvenons à 3 h 00 à Venta de Baños où le taxi nous dépose à la gare. Nous sommes répartis séparément sur le quai parmi les autres voyageurs. Deux heures après notre arrivée, le train, qui doit nous conduire à la frontière portugaise, n'est toujours pas là. A un certain moment, mon regard s'étant porté vers l'emplacement où se trouvait auparavant l'un des deux belges, je suis très surpris de ne pas l'apercevoir. Machinalement, je fais quelques pas vers cet emplacement. C'était l'erreur à ne pas commettre! En effet, un homme s'avance alors vers moi et me demande : " donde va usted ? " (où allez-vous ? ) Décontenancé je lui réponds : " Santander ", nom que je découvre sur un panneau. Il réplique aussitôt ; " usted es extrangero ? " (vous êtes étranger ?). Mes dénégations, mes faux papiers et le fait que je ne me débrouille pas trop mal en espagnol, ne suffisent pas à me tirer d'affaire et ma cavale s'achève là. La personne m'ayant interpellé me montre son insigne de police et m'invite à la suivre au commissariat de la gare. Quelle n'est pas ma stupéfaction d'y retrouver le belge que je recherchais sur le quai un moment plus tôt. Mon camarade n'avait pas parlé. Le policier me confirme, ce dont je me doute déjà, que c'est mon court déplacement, visiblement à la recherche de quelqu'un, qui a éveillé ses soupçons. Il venait en effet de procéder à l'arrestation du belge. Les circonstances de nos arrestations sont bien troublantes. Il était bien difficile en effet de nous repérer au milieu du très grand nombre de voyageurs. Y avait t'il eu dénonciation ? Bien que nous ne le saurons jamais, j'en reste persuadé. Bien des polémiques étaient avancées au sujet de ces passages clandestins à l'intérieur du territoire espagnol !... Il semble que l'autre belge, le faux brun justement, se soit tiré des mailles de la police. Personnellement je n'en ai jamais plus eu de nouvelle. Après une fouille en règle nous subissons l'interrogatoire de rigueur. Bien entendu, nous ne révélons rien de la filière qui nous a emmené ici. Nous donnons chacun un faux nom: CUTAYAR en ce qui me concerne du nom d'un oncle résidant à Malte. A 5 h 30, nous sommes emprisonnés dans une cellule située dans la cave de la gare. Des rats partout et une odeur nauséabonde ! Deux détenus espagnols se trouvent dans les lieux depuis la veille. Personne n'ayant répondu à leurs appels pour satisfaire leurs besoins naturels, ils ont effectué ceux-ci sur place. Nous attendrons jusqu'à 16 h 00 pour recevoir un peu de nourriture et jusqu'à 18 h 30 pour être sorti de ce cloaque. Menottes aux poignets, un policier en civil, nous accompagne en train jusqu'à Palencia. Sarcastique et conscient du lieu infect d'où il vient de nous tirer, il nous apprend que nous allons être internés à la " prision provinçial " dotée de confortables cellules !... Arrivés à 18 h 45, nous sommes conduits au commissariat de police où nous avons droit à l'incontournable interrogatoire. A 19 h 00 nous sommes mis en cellule. Couchés à même le sol cimenté, sans couverture, nous souffrons du froid intense qui sévit dans cette région par cette nuit de décembre. A 23 h 00, nous sommes extraits de notre local et interrogés pendant une heure. Ce n'est qu'à 24 h 00 que nous réintégrons " nos appartements " . Vendredi 24 décembre 1943. Pas de changement notable jusqu'à 16 h 00 où, deux policiers de la guardia civil, viennent nous chercher. Après nous avoir passé les menottes, ils nous préviennent qu'en cas de tentative d'évasion, ils n'hésiteront pas à nous tirer dessus. Faut-il tout de même qu'ils se méfient de nous ! ... Ainsi escorté manu militari, nous sommes conduits à pied, à travers la ville, sous l'oeil amusé de la plupart des passants, dans une maison particulière. Nous y prenons une douche pour notre plus grand plaisir. Nous en avions bien besoin ! Toujours à pied, à nouveau menottés et flanqués des deux policiers coiffés de leur bizarre couvre-chef, nous sommes emmenés, via le commissariat, à notre nouveau lieu d'internement. |
RECIT TÉMOIGNAGE DE PAUL MIFSUD Évadé de France en 1943 Des Rives de la Garonne à la Méditerranée Journal de guerre d'un marin du Torpilleur « Tempête » 1943--1945 |
Paul MIFSUD, |
de Robert LEON, mon père |
PALENCIA "prision provencial" A 18 h 30, les lourdes portes de la prison se referment sur nous. C'est la veille de Noël. Il y a quelques jours à peine, je m'extasiais devant les vitrines, à BARCELONE, regorgeant de toutes sortes de victuailles, toutes plus appétissantes les unes que les autres. Les cochons de lait surtout, exposés entiers, dorés à point, retenaient plus particulièrement mon attention !... En France, avec les années de privations dues à la guerre, il faisait beau temps que nous n'avions pu admirer d'aussi belles et affriolantes devantures. Nouvel interrogatoire pour changer. Pas très convaincus des réponses que nous leur avons faites jusque là, nos geôliers aimeraient bien savoir comment et par quels moyens nous avons atterri sur le quai de la gare de Venta de Baños. Nous ne révélerons rien. Pour justifier la nationalité anglaise dont je fais état et le fait que je ne parle pas cette langue, je déclare que je suis né à Malte et que j'ai été emmené en France à l'âge d'un an. Dirigés ensuite vers " le salon de coiffure " de la prison pour y être tondus, un contrordre est donné juste à temps et nous échappons à ce nouvel outrage !... Ouf, il était temps, mes cheveux commencent à peine à repousser ! Surpris de cette mesure de clémence, nous apprenons par des prisonniers politiques espagnols employés au secrétariat, que tout récemment deux anglais avaient été malencontreusement tués par des policiers, lors d'une tentative d'évasion. A la suite de cette tragique affaire le gouvernement britannique avait aussitôt en représailles, suspendu à l'Espagne ses livraisons de carburant, céréales, phosphates et matériels divers dont il était, avec l'Amérique, le principal fournisseur. Sans doute la raison de ce traitement un peu moins rigoureux. Néanmoins, nous sommes incarcérés dans une cellule d'environ 3 mètres carrés munie d'une petite ouverture d'aération et d'un trou à la porte pour communiquer éventuellement avec le gardien. La nourriture, si elle est différente de celle de la prison de Lérida, n'en est guère de meilleure qualité: espèce de soupe au pain le matin, riz à midi, riz le soir pendant toute la durée de la détention. La cérémonie des couleurs et les sorties dans le " patio " (cour intérieure), d'une à deux heures par jour se déroulent comme à Lérida. Le couchage : une paillasse et des couvertures crasseuses qui ne suffisent pas à nous préserver du froid très vif qui règne dans cette geôle. J'écris à plusieurs reprises à l'ambassade anglaise de Madrid, dans le but d'obtenir ma libération, mais apparemment sans résultat. Ainsi, je passe en prison les fêtes de Noël, du nouvel an et des rois, grandement célébrées en Espagne, sans le moindre changement de régime alimentaire. Le 15 janvier, après 23 jours d'internement, de doutes et d'incertitudes, je ressens subitement une fulgurante douleur au genou droit. Malgré ma souffrance on me laisse pratiquement sans soins. En fin d'après-midi, un peu moins souffrant, je suis emmené chez le coiffeur qui me rase la barbe. Là, un prisonnier espagnol du secrétariat me glisse à l'oreille : " je crois que vous allez êtres libéré, aujourd'hui ou demain. L'Ambassade anglaise vous réclame à Madrid. " Fou de joie, j'en oublie jusqu'à ma douleur. |