RECIT TÉMOIGNAGE DE PAUL MIFSUD Évadé de France en 1943 Des Rives de la Garonne à la Méditerranée Journal de guerre d'un marin du Torpilleur « Tempête » 1943--1945 |
Je perçois ensuite une somme d'argent et suis emmené en voiture à l'excellent hôtel Mora, Paseo del Prado, 32. Ma chambre, luxueuse, est dotée de tout le confort, téléphone, salle de bains, eau chaude etc. Le matin, après une grasse matinée, je commande, entre dix et douze heures, par téléphone, mon petit déjeuner, qui m'est servi dans la chambre. Promenade ensuite dans Madrid, très belle ville aux immeubles cossus, très différente de Barcelone. A 14 h 00 retour à l'hôtel pour le déjeuner. Dans l'agréable salle de restaurant, un maître d'hôtel, très cérémonieux, vient prendre ma commande : " Que tomara usted, hoy " (Que prendrez-vous aujourd'hui) à la suite de quoi il poursuit : " vino blanco o negro " Il s'agit d'un bon vin bouché, blanc ou rouge au choix. Une fois par semaine je déguste la fameuse paella, riz à l'espagnole, qui est apportée dans un seul récipient de taille impressionnante. Je n'avais jamais mangé ce plat auparavant. Sa renommée n'avait pas alors dépassé les frontières de l'Espagne. L'après-midi, nouvelle sortie dans la capitale de l'Espagne et visite de monuments, parcs, curiosités, musées, etc. Parmi ces derniers je découvre le célèbre "Museo del Prado" où je reviens à plusieurs reprises. L'obligation de me présenter deux fois par semaine au commissariat ne m'impose pas une grande contrainte et me laisse beaucoup de temps pour découvrir MADRID. Comprenant assez bien la langue espagnole à présent, je vais assez souvent au cinéma. Le repas du soir est servi à 22 heures, toujours aussi soigné et délectable. Dès le début de mon séjour à Madrid, je me rends à plusieurs reprises à l'ambassade belge pour intercéder en faveur de mon camarade demeuré en cellule à Palencia. J'ai le plaisir quelques jours plus tard de le retrouver libre, dans une rue de la cité. Au cours d'une de mes nombreuses flâneries dans les rues de la capitale madrilène j'ai la surprise de rencontrer Catherine PERRY, installée dans un hôtel de la ville et venue ici pour des raisons professionnelles, me dit-elle ! Ce pourrait être, comme à Barcelone, une nouvelle vie de château mais cela ne me convient pas. Deux à trois fois par semaine, je me rends à l'ambassade anglaise pour tenter d'accélérer mon départ pour rejoindre à Londres, les unités combattantes. Et, comme à Barcelone, on me promet un départ imminent, départ qui tarde trop à venir à mon gré. Ayant appris par d'autres évadés de France, rencontrés au hasard de mes promenades, que des convois à destination de l'Afrique du nord étaient organisés par la mission française à Madrid, je me rends, dès le 4 février, au siège de cette dernière, 21 calle San Bernardo. Après avoir exposé ma situation, je sollicite mon départ, si possible par le prochain convoi. A ma grande joie, ma demande est acceptée. |
Dimanche 16 janvier 1944. Alors que je commence à désespérer, il est deux heures du matin lorsqu'on vient me chercher. En quittant mon camarade Belge, je lui promets de m'occuper de lui dès mon arrivée à Madrid . Le ton de mes geôliers a changé. Ainsi j'ai droit à une poignée de main du directeur de l'établissement qui va même jusqu'à me souhaiter bonne chance. Deux guardias civils viennent me prendre en charge. Ils vont m'accompagner jusqu'à Madrid. Pas de menottes cette fois mais au contraire, beaucoup d'attentions à mon égard. Cela fait du bien!.. A 5 h 00 nous prenons le train. Nous passons un peu plus tard à Venta de Baños où je ne peux réprimer un frisson au souvenir de mon arrestation du 23 décembre. Nous traversons de belles villes et contrées commentées par mes "gardes du corps". En passant à hauteur d'un magnifique édifice, ces derniers m'apprennent qu'il s'agit de " L'Escorial ", palais et monastère du XVIe siècle, où sont notamment enterrés tous les rois d'Espagne. Arrivé à Madrid, à 14 h 00, je suis conduit à l'ambassade anglaise où je reçois un chaleureux accueil. Après un copieux déjeuner, je passe une partie de l'après-midi dans une immense salle de jeu, en compagnie de cinq anglais qui viennent de s'évader d'Allemagne où ils étaient prisonniers. Ils sont tous d'une grande gentillesse avec moi. Des fruits à profusion, des cigarettes puis, le fameux " five o'clock". Un véritable repas ! Et quelle sympathique ambiance ! Après toutes ces années de disette en France et le sévère régime carcéral espagnol, je suis au comble de la félicité. |
Source: http://www.hotelmora.com/ |
Vendredi 18 février 1944. A 19 h 00 je suis exact au rendez-vous, à la gare Mediodia, où les représentants de la mission ci-dessus me remettent les documents et le billet de train nécessaires au voyage. Je suis intégré à un groupe d'une trentaine d'évadés de France. Ainsi je fausse compagnie à mes généreux protecteurs anglais vis à vis desquels je fais preuve de beaucoup d'ingratitude après tout ce qu'ils ont fait pour moi. Je leur en demande pardon mais je pense qu'ils auront compris qu'après les démarches répétées auprès d'eux, j'ai saisi la première opportunité de départ qui s'offrait à moi. Nous quittons Madrid à 20 h 00 et arrivons à Algerisas, situé à l'extrême sud de l'Espagne, sur les bords de la mer Méditerranée, le lendemain à 14 h 00. Au port, après le passage aux différents contrôles de police et de douanes, nous embarquons sur un petit bateau anglais à destination du célèbre rocher de Gibraltar. Quelle joie de voir flotter nos trois couleurs sur le mat du paquebot français "Le Hoggar" à bord duquel nous embarquons à 15 h 00. Du 19 au 24 février, nous restons en rade de Gibraltar où tous les jours d'autres évadés de France viennent grossir nos rangs. Jeudi 24 février 1944. Enfin ce jour tant attendu ! Notre navire appareille à 16 h 00 escorté par trois torpilleurs français. L'océan est agité et peu après notre départ nous essuyons une tempête. Beaucoup de passagers ont le mal de mer. Pour ma part ce n'est pas le cas et je suis heureux de constater que j'ai le pied marin ce dont je me réjouis puisque c'est dans la marine que j'envisage de m'engager. |
Paul MIFSUD, |
de Robert LEON, mon père |
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