RECIT TÉMOIGNAGE DE PAUL MIFSUD Évadé de France en 1943 Des Rives de la Garonne à la Méditerranée Journal de guerre d'un marin du Torpilleur « Tempête » 1943--1945 |
UNE COURTE PERMISSION Il me faudra attendre le mois de novembre pour obtenir une permission à destination de St-Martory. Une véritable expédition ! Un peu plus d'un an après mon départ de France, je vais enfin revoir mon père, mes parents, mes amis, mon village. Parti de Toulon le 7 sur la plate forme d'un camion chargé de sacs de farine et la traversée du Rhône en barque, entre Tarascon et Beaucaire, j'arrive à Toulouse le 9 à 5 h 00. J'en repars à 5 h 10 par le train se dirigeant vers Montrejeau. Au fur et à mesure que j'approche de St-Martory mon angoisse grandit. Je ressens, en même temps qu'une grande joie une sorte d'inquiétude assez difficile à définir. Comment vais-je retrouver mon père ? Par un télégramme de la Croix Rouge j'avais appris, peu après la libération de Paris, qu'il avait été arrêté et déporté par les Allemands, en avril 1944, dans un camp de concentration à St-Denis dans la région parisienne, qu'il était en bonne santé et qu'il allait être prochainement rapatrié à son domicile. Mon père est encore couché, lorsqu'à 7 h 00, je frappe à sa porte. Voulant lui en réserver la surprise je ne l'avais pas prévenu de mon arrivée. Notre bonheur est immense et nous nous étreignons longuement. Quels délicieux instants que ces retrouvailles qui nous font oublier un instant toutes les souffrances que nous avons subies, chacun de notre côté. Je retrouve aussi ma famille et mes amis avec autant de joie et suis fêté par tous. Hélas, tout à la joie de ce retour au pays, une bien triste nouvelle vient ternir les derniers jours de ma permission. Je ne reverrai pas Jean GAUBERT. Cet ami très cher, avec lequel j'ai partagé tant de misères a été tué glorieusement à Centeno, (Italie), le 17 juin 1944, dans les rangs de la Légion Etrangère. Pressé lui aussi d'aller combattre, il avait quitté clandestinement, comme beaucoup d'autres, l'armée GIRAUD pour rejoindre l'armée de GAULLE. Nous nous étions promis de faire ensemble tant de choses à notre retour, notamment de fêter dignement nos retrouvailles à St-Martory ! A ma très grande stupéfaction j'apprends aussi que MARFANI, milicien notoire, a été exécuté par la résistance locale, ce qui m'amène à me poser beaucoup de questions sur les raisons de son séjour en Espagne fin 1943 ! Quant au passeur Louis BORDES, je ne le reverrai pas, tué lui aussi par des membres de la résistance dans des circonstances assez troublantes qui me sont inconnues. Quelles qu'en soient les causes il ne méritait pas un pareil sort eu égard aux éminents services rendus à la France libre notamment par le passage à travers les Pyrénées de tant d'évadés sauvés ainsi des griffes de l'ennemi. |
« Un Revenant Tout le monde a été agréablement surpris en voyant reparaître dans nos murs notre cordonnier MIFSUD, dont on a toujours admiré l'affabilité et l'inlassable dévouement. D'origine maltaise, et considéré par les Boches comme sujet britannique, il avait été interné depuis plusieurs mois. Nous avons appris également avec un vif plaisir que son fils Paul résistant de la première heure servait en mer à bord du torpilleur « Tempête » comme matelot. Nous espérons qu'il pourra bientôt venir en permission dans le pays qu'il a quitté depuis si longtemps pour rejoindre les Forces Françaises Libres. Nous leur adressons à tous deux nos félicitations et nos témoignages de sympathie ». |
RETOUR à BORD du « TEMPETE » A mon retour de permission, le 4 décembre, le "Tempête" est à l'arsenal de la Seyne pour travaux divers ce qui me permet de repartir, le 14 pour une nouvelle permission. Peu après mon rembarquement, à l'issue d'un exercice de tir, notre bâtiment rentrant au mouillage au port de Toulon, accroche un filet de barrage et s'échoue dans un grand fracas, contre un navire coulé. La coque est trouée et il y a plusieurs voies d'eau à l'avant. Toutes les soutes sont noyées. L'eau arrive jusqu'à la cambuse. Les marins pompiers arrivent très vite et commencent à pomper l'eau pendant que des remorqueurs nous emmènent à quai. La coque est trouée à trois endroits et le bateau gîte dangereusement. Heureusement il n'y a pas de blessé mais le "Tempête" doit revenir en réparation. Dès février, notre bâtiment remis à flot, nous effectuons, en alternance avec le torpilleur "Trombe" à partir du golfe de Juan les Pins, de nombreuses patrouilles dans les eaux italiennes et bombardons des positions ennemies aux environs de Vintimille et San Rémo, en Italie du nord. Au cours de ces opérations de bombardement, nous subissons la violente riposte des batteries allemandes. Des obus ennemis tombent parfois très près du bord et des éclats touchent notre bateau. Un torpilleur américain qui opérait avec nous, mi-février, est sérieusement touché par un obus qui fait à son bord un mort et huit blessés graves. Peu après le torpilleur "Trombe" est touché à son tour. Sa coque est transpercée de part en part par une torpille détruisant à l'avant tout un poste d'équipage. Bilan: 26 disparus. Le navire réussit néanmoins à rejoindre le port par ses propres moyens. Les patrouilles et bombardements ci-dessus se poursuivent jusqu'à la totale évacuation des troupes allemandes d'Italie du nord. Le 7 mai 1945 en escale à Monte-Carlo et alors que circulent les rumeurs de plus en plus persistantes d'une imminente capitulation de l'Allemagne, nous sommes accueillis en libérateurs par la population de cette magnifique ville. Nous y sommes particulièrement choyés et partageons l'euphorie des monégasques en liesse. Malheureusement, nous ne pouvons pas savourer longuement les joies de la victoire. A la suite de graves émeutes survenues à Sétif en Algérie, nous sommes rappelés à bord en fin d'après-midi et appareillons le soir même à destination de Philippeville où nous arrivons le lendemain 8 mai, jour de la reddition des troupes allemandes. Nous procédons aussitôt au bombardement des positions occupées par les rebelles. Quelques jours plus tard, je fais partie d'un détachement de marins pour effectuer une reconnaissance à l'intérieur des terres. Le calme semblant être revenu, nous effectuons un défilé à Batna. Nous en profitons pour visiter les ruines romaines de Lambèse et surtout la célèbre cité romaine de Timgad où subsistent d'importants vestiges parmi lesquels le magnifique théâtre et les superbes mosaïques. |
Paul MIFSUD, |
de Robert LEON, mon père |