RETOUR vers Evadés de France |
Retour vers www.effelle.fr/francais-libre |
septembre 07 |
Note: Le récit qui suit est la fidèle transcription du témoignage écrit que Monsieur M. CARRASCO m'a confié. Textes et photos lui appartiennent. Pour tout renseignement, me contacter |
Préambule « Le récit d'évasion qui va suivre est particulièrement intéressant car il jette un coup de projecteur non seulement sur la diversité des Evadés de France mais encore sur la désillusion et l'amertume que ressentent beaucoup d'entre eux concernant l'attitude de la France Libre à leur égard. Ceci mérite une explication. C'est, en effet, avec toute leur conviction et du plus profond de leur coeur qu'ils se sont évadés pour rallier les Forces Françaises Libres et y combattre, leur grande majorité ayant franchi les Pyrénées entre le deuxième semestre 1942 et le premier semestre 1943. Au 1er Août 1943 lorsque le label "Français Libre" a cessé d'être attribué à la suite de la fusion de toutes nos forces, ils étaient encore et depuis de longs mois internés en Espagne, prix qu'ils avaient à payer pour avoir l'honneur de servir. Arrivés après la date fatidique du 1er Août à Londres ou en Afrique du Nord et bien que leur service militaire débute officiellement du jour de leur passage des Pyrénées, l'appellation "Français Libres" leur fut refusée. Beaucoup d'entre eux ont pourtant combattu au sein des Forces Françaises Libres, 2e DB ou 1re DFL . Cette prise de position de la France Libre à leur égard n'a jamais varié . C'est pourquoi, aujourd'hui comme par le passé, ils se sentent considérés comme des cousins éloignés, moins « purs » et d'une autre descendance… » Capitaine de Vaisseau, président de l'Association (Var, Alpes Maritimes, Corse, Haute Provence) des Combattants Volontaires Evadés de France par l'Espagne. |
Mathias Carrasco est né en 1926. Il est le benjamin d'une fratrie de huit enfants appartenant à une famille d'immigrants espagnols implantés comme agriculteurs en Oranie vers 1888/1890. Il se considère comme un Evadé de France "atypique" de par son origine et son parcours d'adolescent ballotté d'un bord de la Méditerranée à l'autre. Ecoutons son récit: |
« Je vécus la déclaration de guerre de 1939 dans l'exaltation des récits de mes oncles, de leurs campagnes à Verdun ou aux Dardanelles, du départ de mes deux frères avec les Chasseurs d'Afrique et les zouaves, de leur retour à l'issue de la drôle de guerre. En 1941 mon autre frère partit faire son service militaire aux Tirailleurs Tunisiens en partance pour la Syrie; il y fut tué au champ d'honneur sous les ordres du Général Dentz, lors de l'engagement fortuit avec nos futurs alliés. Cet événement malheureux me fit admettre par nécessité à l'Ecole des Pupilles de la Marine à Saint-Mandrier. Je revins à Mostaganem durant l'été 1942 pour mes dernières vacances. Et je réintégrai en Octobre mon internat toulonnais avec une quinzaine de Pieds Noirs. En Novembre le débarquement américain isola la métropole d'une partie de l'Afrique du Nord et vit la zone Sud également envahie par les troupes de l'axe. Il s'ensuivit le sabordage de la Flotte et le transfert de mon école à Cahors dans la caserne Bessières, semi occupée par les soldats allemands. Notre régime d'internat pour les "Africains" du fait de notre coupure avec nos familles sans le secours de correspondants périphériques s'avéra des plus frustrants à tous points de vue. » |
« Aux vacances de Pâques 1943 nous décidâmes de les passer ailleurs, en faisant le mur pour nous rendre avec des fausses permissions à Douvaine (Haute Savoie) auprès d'un de nos condisciples. Notre équipée en costume marin près de la frontière suisse ne manqua pas d'alerter la maréchaussée. Huit jours plus tard, malgré les instances des villageois, nous étions reconduits manu militari à Cahors, avec les menottes après la fuite en gare de Lyon d'un de nos compagnons. A l'école, notre internat fut assorti d'un mois de salle de police, cours dans la journée et nuit en cellule, et de plus nous eûmes là notre première coupe à zéro…. Dès Juillet nous fûmes placés par deux dans des fermes avoisinantes pour aider aux travaux des champs avec l'avantage de manger désormais à notre faim. Cela me donna l'occasion de retrouver par hasard Raymond Derne, démobilisé de l'Ecole de Maistrance, et d'évoquer avec lui mon équipée savoyarde. Nous convînmes rapidement de tenter ensemble de passer en Espagne pour rejoindre les Forces combattantes, avec, pour lui, l'opportunité de se soustraire au Service du Travail Obligatoire récemment créé et pour moi celle de me rapprocher également de ma famille. En Août je rejoignis Derne à Paris pour tenter grâce à ses relations avec la Résistance de trouver une filière de passage; hébergé au centre d'accueil des anciens militaires d'outre-mer j'eus loisir de découvrir l'existence des Parisiens sous la botte allemande…. Nos recherches ne débouchant sur rien, je décidai de partir en exploration à Toulouse où Derne connaissait un hôtelier des environs. Voyage sans incident avec ma tenue marine et ma fausse permission habituelle, ainsi qu'un léger viatique prélevé sur les économies de mon ami; et je fus accueilli généreusement par ce commerçant durant quelques jours. Je fus déçu de m'entendre dire à nouveau qu'il ne connaissait personne du côté de la frontière et m'apprêtant à prendre mon dernier petit déjeuner avant de repartir à l'aventure, j'eus la surprise de faire la connaissance d'un Commissaire de Police révoqué par Vichy. Je suivis donc un certain Frison en train jusqu'à Foix pour rencontrer un autre hôtelier, lequel après s'être entretenu seul avec lui accepta de m'héberger en attendant la formation d'un convoi. Frison étant reparti entre temps pour mettre au vert sa famille, je me retrouvai seul au fond des communs de l'établissement sans pouvoir sortir, mais bien ravitaillé par une aimable jeune fille. Deux autres français me rejoignirent, puis quelques jours après une dizaine d'anglais et américains arrivèrent avec un certain Rose. Le lendemain au soir une camionnette bâchée vint nous récupérer pour nous amener dans les environs jusqu'à un petit bois où nous attendait un guide. » |
« Nous nous mîmes en marche aussitôt vers la chaîne de montagnes pour une pénible progression de trois jours sur des chemins de crête apparemment inaccessibles. Nous nous reposions une partie de la nuit dans des cabanes de bergers, sans voir âme qui vive avec au réveil une mer de nuages à nos pieds. Tout se passa bien jusqu'au dernier jour avec l'apparition proche d'une patrouille allemande et de ses chiens, ce qui nous fit passer en catastrophe un torrent dans l'obscurité pour nous mettre à l'abri. Au petit matin le guide nous indiqua la direction d'Andorre et s'éclipsa en laissant notre groupe continuer sous la férule de Rose. Nous atteignîmes sans encombre le village de Ordineau où se trouvait un camp de réfugiés polonais, puis, à Andorre-la-Vieille, Rose nous amena à un grand hôtel. Après nous être reposés et restaurés une équipe à l'accent étranger nous questionna longuement sur nos situations et motivations. Les anglais et américains avaient été séparés de nous entre temps et nous ne les revîmes plus. Le lendemain matin, Rose nous fit prendre l'autocar à destination de Séo-de-Urgel où des gardes civils nous arrêtèrent. Quelques jours après ils nous transférèrent à la prison du Séminario Viéjo à Lerida, début Septembre. J'en fus libéré trois semaines plus tard compte tenu de mon age, 17 ans et 4 mois, apparemment incompatible avec ma qualité d'élève d'école militaire…. » |
« Je fus dès lors assigné à résidence à Barcelone dans une pension près des ramblas aux frais de la représentation de la France Libre. Vêtu du même costume offert par la Croix Rouge à tous les évadés ce qui nous désignait à la réprobation des jeunesses phalangistes ou de permissionnaires de la Légion Azul combattant sur le front russe, je retrouvai peu à peu des visages connus: Nougaret qui avait combattu en Tunisie avec un de mes frères, Derne qui avait pu me rejoindre par la filière de Foix, ainsi que Frison plus tard. Enfin à la mi-décembre je pus faire partie du convoi ralliant Casablanca depuis le port de Malaga; départ en wagon à bestiaux de Barcelone, via Madrid en chantant malgré le froid…. Attente ensuite dans les arènes de Malaga des cargos mixtes Sidi-Brahim et Gouverneur Lépine en provenance du Maroc avec du blé et des phosphates pour que Franco nous libère. Corridas pacifiques des centaines d'évadés fêtant l'évènement tant attendu et l'embarquement, chacun arborant sa Croix de Lorraine avec une large étiquette à la boutonnière dont la Croix Rouge nous avait munis en guise de sauf-conduit. Dès la sortie des eaux territoriales nos bateaux hissèrent nos trois couleurs à la place du pavillon anglais, sous escorte du contre-torpilleur Le Forbin jusqu'à Casablanca. » |
BARCELONE Septembre 1943: De Gauche à droite: Mathias Carrasco, Raymond Derne, x,x. Le groupe est photographié à Barcelone, revêtu des vêtements que venait de leur délivrer la Croix Rouge; la vareuse de Marin que porte Raymond Derne semble étonnante. |
« Eté 43, De Cahors à Londres, en passant par l'Espagne...» d'après le récit de Matthias CARRASCO St Mandrier, Cahors, Foix , Lerida, Barcelone, Gibraltar, Londres |