Evadés de France

« Le prix à payer pour avoir l'honneur de servir »,

d'après les écrits de

Roger Gérald BARTHELEMY

(Le texte et certaines photos sont la propriété de Monsieur Barthélemy)

« Ils regardent sur les routes les femmes qui passent

ils les désirent mais moi j'ai des hautes amours

Qui règnent sur mon cœur, mes sens et mon cerveau

Et qui sont ma patrie, ma famille et mon espérance

A moi soldat amoureux, soldat de la douce France. »

Guillaume Apollinaire

« Début mai 1940, c'est l'attaque foudroyante des armées allemandes. Stupéfaction ! Nos soldats reculent… personne ne comprend. Pour la première fois, je vois mon père les yeux embués de larmes.

En quelques jours, la vie a basculé. A l'euphorie du printemps succède ce qui deviendra, pour l'histoire « la débâcle ». Le pays est désorganisé. Le 17 juin, je pars à vélo en direction de DAX, chez monsieur Milles- Lacroix, avec une lettre de recommandation signée par le Maire de Mussidan. Je veux rejoindre l'Angleterre pour m'engager dans l'armée française en attendant de débarquer en Bretagne et de reprendre le combat.

J'apprends qu'à St Jean de Luz, deux navires sont dans la base et doivent embarquer des soldats polonais. Le renseignement s'avère exact. Effectivement, ce sont les restes de divisions de l'armée polonaise qui embarquent sur le Batory. Nous sommes le 21 juin 1940. je regarde les soldats embarquer sur de petits chalutiers qui se dirigent vers le Batory. Impossible de franchir le barrage des gendarmes français. Manque d'audace, manque de maturité. Je n'ai que 20 ans ! J'apprendrai beaucoup plus tard, en, 1987, que François Jacob, notre éminent Prix Nobel, réussit, ce jour-là, à s'infiltrer parmi les soldats polonais et rejoindra ainsi l'Angleterre.

Désabusé et triste, je rentre à Mussidan. »

« Au cours de l'hiver 1940/1941, je fais la connaissance d'un étudiant en droit, Jacques Huguin. Nous parlons naturellement de l'Appel du général de Gaulle, d'une possible revanche et surtout des Chantiers de la Jeunesse, organisés par le général De la Porte du Theil. Ces chantiers devaient, d'après lui, constituer le ferment de l'armée nouvelle. Leur principal objectif était la formation morale, physique, civique des jeunes. Une sorte de « vivier », toutes couches de la nation confondues, partageant la même vie collective, discipline et esprit national. Puisque je désirais servir, c'était l'occasion de me préparer à des évènements que j'espérais proches.

C'est ainsi que je me présentais à l'état-major des Chantiers de la Jeunesse en décembre 1940. »

« Après un stage de 6 mois à l'Ecole des Cadres de l'Espinet (Toulouse), je sors assistant chef de groupe et suis envoyé au Groupement 27 à Foix. Auprès du Chef de groupe et assisté de deux chefs d'atelier, à nous quatre, nous avons la responsabilité d'une centaine de jeunes venus du Sud-ouest. La vie est rude et le moral n'est pas fameux. Cependant, je découvre les vraies valeurs : la volonté, l'exemple, la générosité, le prix de l'effort, l'estime, l'amitié.

En janvier 1942, je deviens l'aide de camp du commissaire De Milleret, commandant le groupement 27. Le commissaire De Milleret devient le colonel Carnot de la Résistance. Libérateur de la poche de Royan, le général de Gaulle le fit Compagnon de la Libération. Je me déplace fréquemment sur Foix, où je fais la connaissance du sous préfet, Mr Lortolary, qui me prend en amitié. Au cours de dîners amicaux, je fais la connaissance d'un résistant. Le terme n'est pas encore ou peu utilisé. On travaille simplement cotre l'occupant. Le sous-préfet Lortolary participait à ces actions en « ouvrant » quelques portes des bureaux de la préfecture, permettant de récupérer passeports, cartes d'identité, sauf-conduits et autres documents, sans oublier les tampons et accessoires divers.

C'est ainsi que je suis entrée dans le système devenu la Résistance.

Transports de faux documents, de lettres, de paquets, pièces détachées, postes de radio… me paraissait facile. »

« Mais début novembre 1942, un des membres du réseau est arrêté. Il est temps de partir. Je décide de rejoindre l'Angleterre ou l'Afrique du Nord, ayant appris que les Américains venaient de débarquer au Maroc et en Algérie.

A Foix, le lieu de rendez-vous des chefs de Chantiers était situé dans un petit café, dont la propriétaire, madame Eychenne, était une seconde maman pour ces jeunes « chefs » dont les plus âgés avaient 22 ans.

L'un de ses frères, Monsieur Saurat, était mécanicien à la SNCF, et conduisait les trains de Foix à la frontière espagnole (gare de Latour de Carol). C'est ainsi qu'un matin, je pénétrais dans l'enceinte de la gare, vêtu d'un bleu de travail de la SNCF.

Au signal convenu, je m'installais dans le coffre à outils. Toutes les gares d'arrêt étaient surveillées par les GMR, des policiers en civil, des gendarmes français et des soldats allemands. Courageux Monsieur Saurat ! J'apprendrai en 1945 qu'il fuit arrêté, torturé et qu'il mourut en déportation à Dachau… »

(…) « Le coiffeur m'observe, visiblement méfiant. Soudain, des bruits de bottes et de souliers cloutés, c'est la patrouille des gendarmes garde-frontière allemands. En un tour de main, le barbier m'installe sur un siège, me passe une serviette autour du cou et me barbouille de savon…

Après le départ de la patrouille, nous discutons. Je le convaincs de mes sincères intentions de rejoindre l'Angleterre. Je lui donne ce que j'ai emporté d'argent (l'équivalent de 600 euros). Cela ne suffit pas. Il veut ma montre, une superbe Rolex suisse, le cadeau de maman pour mes 18 ans… Je me mords les lèvres, révolté. Mais c'est le prix à payer pour passer la frontière et rejoindre Barcelone. Je regarde ma montre pour la dernière fois et la tends au coiffeur… »

(…) Vers 3 heures du matin, le coiffeur me remet une feuille de papier sur laquelle est tracée une sorte de plan de la région, avec trois points rouges représentant trois fermes que je dois trouver sur ma route.

(…) Puis il me quitte précipitamment, me laissant seul dans la nuit. (…) Exténué, frigorifié, les pieds gelés depuis mon passage d'un torrent, j'arrive au lever du jour à une ferme de montagne. On m'ouvre, on m'accueille près du feu, puis je me mets à pleurer en silence. Pleurer de joie, d'avoir pu franchir cette première étape et aussi de chagrin, d'avoir quitté mes parents.

Ces braves gens me prêtent des vêtements secs et me cachent pendant toute la journée. La nuit suivante, je reprends ma route. Depuis la disparition de mon coiffeur, j'ai dû parcourir environ 40 km, je suis sur la bonne route, c'est l'essentiel. Je survis grâce à la musette emplie de ravitaillement, donnée par le bon Monsieur Saurat et généreusement préparé par Madame Eychenne.

Le matin du troisième jour, j'entends le bruit d'un moteur, c'est une camionnette qui roule lentement. Je fais signe au chauffeur de s'arrêter, il se rend à Vic, c'est ma route. Le chauffeur hoche la tête et m'embarque à bord du véhicule. »

« A notre arrivée à Vic, le brave homme, à qui j'ai expliqué mon intention de rejoindre le consulat anglais de Barcelone, me cache toute la journée, remplit ma musette et m'accompagne à la nuit tombée jusqu'à la sortie du village.

Je marche toute la nuit. Puis me cache dans le foin pour la journée, en ayant repéré une voie ferrée toute proche. La nuit suivante, je me poste au bord de la voir ferrée. Le troisième train sera le bon. Je m'accroche au rebord d'une ridelle et bascule à l'intérieur d'un wagon. Après quelques heures de voyage je saute du train à la faveur de la nuit. Il me reste environ 60 km avant d'arriver à Barcelone… je n'ai plus grand chose dans ma musette, mes deux gourdes sont vides, je suis malade, je tousse, je marche péniblement pendant une heure ou peut-être deux, mais je n'ai plus la montre de maman… maudit coiffeur ! »

« Je m'effondre dans un fossé et lorsque je me réveille, j'aperçois deux hommes en uniforme, coiffés d'un bicorne bizarre, noir et brillant. Voyant que je ne peux plus marcher, l'un d'eux part et revient avec une camionnette… je me réveille dans une pièce où des femmes m'entourent, m'enveloppent dans une couverture, me tendent un bol de lait. Un médecin vient. Il parle français. Je serai soigné une semaine dans une auberge. Lorsque je parle de rejoindre Barcelone, les carabiniers me répondent : « Barcelona ? .. Mañana ! »

Vêtu de vêtements propres, je quitte le petit village d'Alguafreda, conduit par mes deux carabiniers. Nous prenons le train pour Barcelone. Je rêve ! Je me vois déjà franchir la porte du consulat anglais… « Monsieur le Consul, je voudrais rejoindre les Français qui se battent aux côtés des Anglais et des Américains… » « Oui, bien sûr, demain vous partirez pour Gibraltar, et de là, un avion vous transportera à Londres ! »

Barcelone ! Enfin, nous y sommes, descente du wagon. Soudain mes deux carabiniers me passent les menottes… Je suis prisonnier ! »

« Ils me conduisent au commissariat central de Barcelone. Ils m'abandonnent là, et je suis placé dans une sorte de cage. Nous sommes 12 enfermés là pendant trois jours. Le 3e jour, on nous appelle un à un. Questionné, photographié, tondu, dépouillé de mes papiers, musette, gourdes et de tous les objets que je possédais encore, j'embarque à bord d'un « panier à salade » en direction du Carcel Modelo.

Dans la cour, nous quittons nos vêtements par un froid glacial. Nous sommes en décembre 1942. »

« Arrivé en gare de La Tour de Carol, Monsieur Saurat devait s'engager sur 200/300 m au-delà de la gare vers le pont frontière, pour procéder à la manœuvre d'aiguillage. Mais il reçut l'ordre de stopper et de laisser sa place à un collègue. Avec beaucoup de sang froid, il prétexte des bruits insolites qu'il désire reconnaître. Difficilement, il obtient d'effectuer ces quelques centaines de mètres nécessaires.

« Attention, tu sautes, tu rampes le long du ballast, tu vas jusqu'au fossé, tu fais quelques mètres, tu te laisses glisser en contrebas : tu trouveras de gros galets, c'est l'enclos d'une petite prairie, tu te caches derrière, tu ne bouges pas. Lorsqu'il fera nuit, tu monteras au village (Enveigt), tu chercheras la vitrine d'un coiffeur, tu te présenteras en faisant un nœud à ton mouchoir…. Allez, bonne chance ! »