RECIT TÉMOIGNAGE DE PAUL MIFSUD Évadé de France en 1943


Des Rives de la Garonne à la Méditerranée

Journal de guerre d'un marin du Torpilleur « Tempête » 1943--1945

L'ESPAGNE


Mercredi 27 octobre 1943 - 10 heures. Les guides prennent congé de nous. Après avoir pris de grands risques en nous accompagnant et en restant la nuit dernière avec nous en territoire espagnol, ils doivent à présent refaire le chemin en sens inverse. Par bonheur il fait beau et ils attaquent la montée avec optimisme. Je veux ici leur rendre hommage pour leur courage, leur dévouement, leur assistance de tous les instants, lors de notre douloureux périple. BORDES dira d'ailleurs plus tard qu'il fut le plus périlleux jamais effectué de tous ses passages, propos également confirmés par Madame Emilienne EYCHENNE, historienne de la seconde guerre mondiale. Dans l'un de ses remarquables ouvrages sur les évasions par l'Espagne " Montagnards de la liberté ",  elle note dans la rubrique "chronologie succincte":

- 26 octobre 1943 : passage épouvantable à travers le Burat dans la tempête et à la page 22, en légende à la photo du pic du BURAT : sur les crêtes du Burat le calvaire du convoi BORDES dans la tempête de neige du 26 octobre 1943.

BIBLIOGRAPHIE sur les Evadés de France:
Les Evadés de France à travers l'Espagne M. VIVE Ed. des Ecrivains
Aux frontières de la liberté R. BELOT FAYARD
DVD la Résistance Française (1943)
Pyrénées de la Liberté, Emilienne Eychenne
Pyrénées, l'échappée vers la liberté, Sébastien BARRERE, éditions CAIRN

Ma dernière vie, F. LEON GUITTAT 2005

A leur retour en France, BORDES et « Félix » iront rassurer mon père et lui dire que je suis "bien" arrivé en Espagne.


Et alors que nos courageux passeurs, après un échange de signes d'adieux de la main, disparaissent dans le haut de la vallée, en direction des cimes enneigées, nous entamons quant à nous, après un sommeil réparateur mais les membres endoloris et encore tout courbatus, notre cheminement en direction du village aperçu la veille. Au cours de la descente nous distinguons le " pont du roi ", situé à la frontière franco-espagnole, sous lequel s'écoule la Garonne.


Parvenus à la route reliant le Val d'Aran (Espagne) à la France via le pont ci-dessus, nous nous dirigeons vers le village de Lès. A 12 heures, à l'entrée de l'agglomération, nous sommes interceptés par des douaniers espagnols venus à notre rencontre et manifestement prévenus de notre arrivée. Conduits à la caserne des douanes nous y sommes minutieusement fouillés et délesté de tout notre argent, couteaux, rasoirs, photos, montres etc. Seul le linge contenu dans nos sacs nous est laissé. Jean étant passé à la fouille avant moi, je réussis à lui passer en cachette mon portefeuille avant de pénétrer à mon tour dans le local, sauvant ainsi le peu d'argent que je possède. N'ayant plus de pièces d'identité, je donne mon véritable nom ainsi que ma date de naissance exacte. Par contre, sachant que les ressortissants britanniques bénéficient de certains privilèges en Espagne, je me déclare de nationalité anglaise. Enfin vers 16 heures, après un interrogatoire portant essentiellement sur les raisons qui nous ont amené à franchir clandestinement la frontière, nous sommes conduits dans un hôtel confortable où un copieux repas, très apprécié, nous est servi. C'est enfin avec délice et dans une belle chambre, qu'après le repas du soir je me glisse dans un merveilleux lit douillet.


Jusqu'au lendemain 12 heures nous circulons librement dans la localité. Nous sommes ensuite conduits en autobus au village de Viella, situé à 21 kms, où nous arrivons à 14 heures. Fouillés et interrogés à nouveau, nous sommes ensuite hébergés à l'hôtel Serrano où se trouvent déjà d'autres évadés de France arrivés quelque temps auparavant. L'hôtel est très ordinaire et la nourriture laisse souvent à désirer.


Bien qu'en liberté surveillée nous sommes relativement libres. Nos pas nous conduisent assez souvent en bordure du rio Garona (la Garonne), celle là même qui traverse mon  petit village de naissance et dans laquelle je m'ébattais et faisais de la périssoire encore l'été dernier.


Nous sympathisons avec deux autres évadés desquels nous devenons vite inséparables: Eugène MOUGIN, lieutenant de l'armée française et CARTOUZOU, alias COUSIN, diamantaire à Paris et comme moi d'origine maltaise.


Le 4 novembre, nous avons l'agréable surprise de voir débarquer du car en provenance de Lès, deux camarades Saint-Martoryens, Louis BORDAGES et Louis BINACUA qui venaient eux aussi de franchir les Pyrénées dans un nouveau passage organisé par BORDES.


Le samedi 6 novembre à 14 heures, nous quittons Viella, très inconfortablement installés sur le plateau découvert d'un camion qui mettra cinq heures pour parcourir les 76 kms qui nous séparent de Sort où nous arrivons à 19 heures, complètement transis, après avoir escaladé le col de la Bonaiga situé à 2072 mètres d'altitude. Nouvelle fouille, nouvel interrogatoire à la suite desquels nous apprenons, qu'en raison de la foire mensuelle, nous ne pouvons pas être hébergés dans un hôtel. Pour avoir manifesté un peu trop bruyamment notre mauvaise humeur, nous sommes mis en cellule. Nous y faisons tellement de vacarme que nous en sommes presque aussitôt libérés. Finalement nous sommes logés dans une "fonda", espèce d'auberge où nous ne sommes pas si mal, surtout compte tenu de ce qui nous attend !...

Paul MIFSUD,

LERIDA

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de Robert LEON, mon père

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