LE PASSAGE DES PYRENEES 25 octobre 43: A 17 heures, en compagnie de Félix, l'autre guide de St-Martory, nous prenons l'omnibus jusqu'à Boussens où Jean GAUBERT nous attend. Tous trois montons ensuite dans l'express se dirigeant sur Bayonne, à bord duquel se trouve BORDES qui ne tarde pas à nous rejoindre. Il est accompagné d'un guide espagnol devant participer à notre expédition. A Montréjeau nous changeons de train et prenons un omnibus allant à Luchon. Nous descendons à la gare de Saléchan, où le chef de gare, Monsieur VERDIER, valeureux résistant, nous accueille dans ses appartements. Il est 20 heures et la pluie n'a pas cessé de tomber depuis le matin. Une heure après, Félix descendu du train à Loures-Barousse, nous rejoint avec plusieurs personnes devant effectuer le passage avec nous. Après un repas léger offert par notre hôte et après avoir attendu en vain une accalmie, il est une heure du matin lorsque notre caravane s'ébranle. Elle est composée de seize hommes dont les trois guides, Bordes, Félix et le passeur espagnol, trois femmes et une fillette de 12 ans. Nous traversons le village et longeons la voie ferrée. Nous marchons en file indienne et dans le plus grand silence. Peu après le passage d'un pont sur la Garonne, notre progression continue à travers champs et prés. La pluie qui continue à tomber gêne considérablement notre marche. |
RECIT TÉMOIGNAGE DE PAUL MIFSUD Évadé de France en 1943 Des Rives de la Garonne à la Méditerranée Journal de guerre d'un marin du Torpilleur « Tempête » 1943--1945 |
Tout à coup nous apercevons au loin des lumières venant dans notre direction. Nous nous dissimulons aussitôt dans un fossé. Bordes est armé d'une mitraillette, les deux guides de revolvers dont ils sont prêts à se servir. Après quelques instants d'angoisse nous avons la satisfaction de voir ces lumières, deux phares de bicyclette apparemment, s'éloigner puis disparaître. Après cette fausse alerte, une longue marche nous emmène aux portes du village de Marignac. A la sortie de ce dernier, le chef des passeurs nous informe que nous allons devoir traverser la route nationale le plus rapidement et silencieusement possible. A proximité de cet endroit se trouve généralement un poste de garde allemand. Deux des guides partent en reconnaissance. L'attente nous paraît une éternité. Enfin de retour, ils nous font traverser. La chaussée franchie, nous nous trouvons dans une forêt au pied de la montagne. Sans perdre un instant nous attaquons la montée, très rude, à allure forcée afin de nous éloigner le plus possible de la route. Ce n'est que quelques minutes plus tard que nous prenons un peu de repos. Nous sommes très essoufflés. La pause est de courte durée et nous reprenons l'ascension par une cheminée très raide. Toujours sous la pluie, dans l'obscurité, la progression est chaotique. Que de glissades, de bousculades, de chutes, de jurons aussi ! Enfin après une longue marche, coupée seulement de courtes haltes, nous nous arrêtons pour déjeuner. Le jour commence à poindre. |
L'église de Loures-Barousse |
Paul MIFSUD, |
de Robert LEON, mon père |
Marignac |
26 octobre 43: A l'occasion d'une brève éclaircie nous admirons le pic du Burat (2154 m.) splendidement paré de son plus beau manteau blanc. Les guides, moins contemplatifs, semblent soucieux et nous ordonnent de repartir. Au fur et à mesure que nous prenons de l'altitude le froid devient de plus en plus vif et le vent de plus en plus violent. Soudain des flocons de neige prennent le relais de la pluie. Nous foulons bientôt la première neige qui tombe à présent en rafale et gêne considérablement notre avance. Il est maintenant 11 h 30. Nous marchons encore une heure sous une véritable tempête de neige avant de faire une petite pause. La fatigue commence à se faire sentir mais notre moral reste intact. Profitant de ce court arrêt, un de nos compagnons, alsacien, nous chante quelques chansons anti-nazi dont il est l'auteur. La montée reprend ensuite, de plus en plus difficile. Nos pieds s'enfoncent dans la neige fraîche, d'une épaisseur de 50 cm, ralentissant notre allure. Au cours de notre progression, les guides nous montrent en contre bas, une cabane de berger que nous devinons, presque entièrement ensevelie sous la neige. Elle sert de refuge aux allemands lorsqu'ils effectuent des patrouilles en montagne nous apprennent-ils. Avec Jean et quelques autres jeunes, nous arrivons au sommet de notre premier pic. Malgré la rigueur du froid nous sommes heureux et c'est avec bonne humeur que les retardataires reçoivent les boules de neige dont nous les bombardons. Nous longeons ensuite une arête et entamons l'ascension d'un nouveau sommet dont nous n'entrevoyons pas le faîte. Les guides nous assurent que c'est là que se trouve la frontière. Ils nous encouragent à redoubler d'efforts afin d'y parvenir le plus rapidement possible. Mais bientôt c'est une véritable bourrasque de neige qui s'abat sur nous, limitant à deux mètres à peine toute visibilité. Le froid est tel que nos mains, violacées, sont gelées. La neige se glace sur nos cils, moustaches, cheveux et vêtements nous faisant ressembler à des êtres étranges dont nous avons encore la force de rire. Nous n'en rirons pas longtemps, hélas, car nous n'allons pas tarder à nous trouver dans une situation des plus dramatiques. Nous parvenons à la cime du deuxième sommet. Malheureusement ce n'est pas encore le Burat... tant espéré !. |
le pic du Burat (2154 m) |